La pièce présentée est un bateau. Plus précisément les restes d’une embarcation archaïque, sorte de pirogue de bois, d’une longueur de 7m30 dont la capacité d’accueil atteindrait 45 personnes. Ce bateau n’est pas destiné à naviguer. Construit in situ dans son lieu d’exposition, il ne pourra plus en sortir à moins d’être réduit en morceaux.
L’objet « bateau » est mis en abime dans ce subtil glissement de lieu et du coup de sens : il relève du fantasme de voguer à travers les mers, vers un ailleurs mais ne se réalisera jamais dans son dessein.
Il est d’autant plus étrange que même si cette embarcation pouvait être mise à l’eau, les quelques maladresses volontaires dans sa mise en oeuvre le vouerait au naufrage. Respectant les règles de la construction navale, ce bateau défie pourtant les superstitions des marins en arborant un nombre hérétiques de couples. Dédié à sombrer et pris au piège, le bateau est littéralement enfermé et ne peut devenir que le support de tous les imaginaires.
Si le projet formel était déjà là, Monsieur Moo a laissé cependant s’immiscer les heureux hasards du génie du lieu. Le bois utilisé est celui d’une ancienne charpente du centre d’art, remplacée pour sa vétusté et destiné à l’abandon mais indubitablement porteur d’une, voire plusieurs, histoires : celle du bois usagé, rongé ou préservé dont on perçoit les veines, la taille et celle du lieu, qui présente, offre à regarder et relire, préserve.
Mais il choisit également de positionner sa pièce dans une dialectique de confrontation. Les dimensions de la pièce qui rendent le bateau prisonnier conditionnent la déambulation de celui qui le regarde et frustrent celui qui souhaiterait s’y voir embarqué. Le dispositif est minimaliste mais le pouvoir d’évocation du bateau voué à l’inertie engage le spectateur des ailleurs inatteignable, d’un voyage impossible ou qui ne sera que mental. Le bateau perd son statut d’objet, memento mori de lui-même et chavire dans une dimension iconologique, une poésie de l’absurde, une émotion qui ne dépend plus que de l’expérience et de l’imaginaire individuelle.